Une journée de plus au boulot. Ce jour-là je me coltinais de la paperasse. Enregistrer des plaintes et faire remplir tous les documents nécessaires aux dépositaires des dites plaintes. J'avais toujours détesté ce genre de journée de travail. J'étais un homme d'action et de terrain alors je m'emmerdais sérieusement quand je devais rester assis à un bureau pendant des heures. J'étais en service depuis près d'une heure et je n'avais pas eu une seule plainte à enregistrer. Je m'étais donc plongé dans un magazine sur les nouvelles automobiles. C'était déjà mieux que de s'emmerder et de laisser ses pensées vagabonder sur des sujets plus épineux comme l'attitude de mon « amant », si tant est qu'il était mon amant car je ne savais pas si je pouvais dire que Cameron et moi étions amants ou en couple ou autre chose.

Finalement, j'eu une « visite ». Un homme assez jeune -à bientôt quarante ans, j'avais tendance à voir tout le monde jeune-, grand et baraqué arriva. Je me dis immédiatement que ce type avait une tête à avoir fait l'armée ou, au moins, avoir voulu intégrer l'armée. Je ne me doutais pas une seconde être dans le vrai, c'était juste une hypothèse stéréotypée. Cependant, il y avait quelque chose dans ce visage qui ne m'était pas inconnu mais je n'aurais su dire quoi. Je n'avais jamais été très physionomiste. J'accueillis l'homme et enchaînai immédiatement sur le vif du sujet :

-Bonjour. Quel est votre nom et qu'est-ce qui vous amène ici ?

Dès que j'eu sa réponse, je pu chercher le formulaire adéquat (parmi une pile d'autres formulaires tous plus rébarbatifs les uns que les autres) afin de le compléter. Fichue bureaucratie ! A bas la paperasse, avais-je envie de hurler tant je haïssais ce travail ennuyeux.

Vous l'avez compris, je détestais remplir des formulaires et étais, ce jour-là, particulièrement irritable.

J'avais déjà rencontré l'homme qui se présentait à moi mais je ne savais pas. Je ne me souvenais pas de lui, mon inconscient avait dû l'effacer de ma mémoire parce que son visage était associé un épisode affreux de ma vie : la mort de James et plus précisément son enterrement. Malheureusement, dès que j'entendis son nom, je tressaillis. Matthews... Je pensais immédiatement à James puisqu'ils portaient le même nom de famille. Je ne su pas cacher mon malaise mais me ressaisis rapidement. Je ne trouvais pas de dossier. Mes abrutis de collègues avaient décidé de me rendre la vie impossible ! Je devais sortir le bon formulaire que je trouvais facilement.

-Si seulement on pouvait supprimer la paperasse de ce monde..., grognais-je entre mes dents.

Je n'étais vraiment pas de bonne humeur mais curieusement, je me sentis obligé de m'excuser.

-Je suis désolé, je ne peux pas dire que j'aime rester derrière ce bureau... C'est tellement chiant. Enfin, vous devez remplir ce formulaire. Normalement, il y a un stylo en face de vous., dis-je d'une voix qui se voulait plus sympathique mais qui n'était pas très convaincante.

J'attendis patiemment qu'il ai fini de remplir les différentes rubriques. En fait, je le fixais avec beaucoup d'attention. Son nom de famille m'avait intrigué et je le dévisageais comme si j'allais, à un mot, reconnaître James en lui ou quelque du genre. Mais rien ne vint. J'allais juste me faire passer pour un fou. Pourquoi étais-je encore tant obsédé par James ? Cela faisait presque une dizaine d'années qu'il était mort. J'aurais dû l'oublier ou ne plus être autant obsédé par lui. En fait, j'étais tellement obsédé par le premier homme dont j'étais tombé amoureux que je ne songeais pas aux questions que pouvais se poser l'homme en face de moi, l'homme que je dévisageai depuis de longues secondes voire de longues minutes.

Je regardais l'homme tandis qu'il remplissait le document. C'était fou comme je retrouvais certains traits physiques de James en lui. En fait, depuis le début de l'entrevue, j'étais perturbé par cette ressemblance physique c'était pour cela que je n'avais pas relevé son « Je me doute ». Dès qu'il eu fini de remplir le formulaire, j'inspectai le papier pour être sûr de ne pas avoir à le rappeler pour éclaircir un point particulier du formulaire. Après une petite minute penché sur le papier, je relevais la tête et dis :

-Non. C'est bon... Tout est en ordre... Tout est en ordre avec un simple bout de papier... Vous pouvez partir.

Puis mes yeux glissèrent sur mon porte-feuille sur le bureau. Dans ce porte-feuille, il y avait une photo de James et moi avant le drame. J'étais certain d'avoir déjà vu le croupier mais je devais en avoir le cœur net -dans le cas contraire, ça me hanterait.

-Attendez ! Je suis désolé de vous demandez ça de cette façon mais... Votre visage m'est familier... On s'est déjà vu, non ? Vous n'aviez pas un membre de votre famille dans l'armée ?

Ma main se crispa sur ma cuisse droite, celle qui était prolongée par ma prothèse, alors que je baissais la tête. Et s'il était vraiment de la même famille que James ? Et s'il commençait à me poser des questions sur James et moi ? Et s'il cherchait à découvrir quelle était la nature de ma relation avec James ? J'avais peur des questions qu'il pourrait me poser. Je n'avais pas envie de lui faire découvrir des choses sur James, des choses qui pourrait le dégoûter, des choses qui pourrait lui faire détester James -s'ils étaient bel et bien de la même famille. Ou peut-être n'avaient-ils rien à voir ensemble et dans ce cas, j'imaginerais beaucoup de choses pour rien. Je devais vraiment arrêter de faire des suppositions.

Spoiler:

Je me perdais dans l'observation de ce visage qui me semblait si familier. J'avais bien fait de retenir l'homme car il aurait tôt fait de partir. Je perdis mon sourire quand il me dit que son cousin avait fait partie de l'armée. Il avait corrigé son « a » pour le mettre à l'imparfait donc ce fameux cousin n'était plus dans l'armée. Je sortis une photo de mon porte-feuille et ce n'était pas n'importe quelle photo : c'était une photo de James et moi, quelques semaines avant qu'on ne parte pour l'Irak. Je la présentais au croupier.

-C'est...C'est bien votre cousin sur cette photo ?, lui demandais-je. Dès qu'il eu confirmé, je m'expliquai : On s'est vu à l'enterrement de James... A cette époque, j'étais encore en béquille... Je... James était un super ami de l'armée. Il était comme... Il était un peu comme un frère pour moi...

Je ne lui avais pas vraiment dit la vérité. James avait toujours été plus qu'un ami et qu'un frère. Comme je ne savais pas s'il était au courant des préférences sexuelles de son cousin, je n'avais pas osé lui dire que j'avais été en couple avec lui. Tout à coup, je réagis à ce qu'il avait dit un peu plus tôt.

-« A part vous »... Vous êtes dans l'armée ? Je croyais... Ah... Vous devez être réserviste ! Je suis sûr que James serait fier de vous.

Je m'étais presque sentis obligé d'ajouter cette dernière phrase. James n'était pas forcément un souvenir à évoquer à tout bout de champs. Je fus subitement replongé dans mes souvenirs d'armée. Je revoyais ma première rencontre avec celui qui serait mon premier amour homosexuel. Il était tellement mignon, il semblait si pacifique que je m'étais demandé pendant une fraction de seconde ce qu'il foutait là puis je l'avais vu sur le champ de tir et j'avais su qu'il avait bel et bien sa place dans l'armée. Je revis les fous rires, les parties de franche déconnade dans les dortoirs. Ca me semblait parfait mais, à l'époque, je n'avais pas idée de ce que nous allions tous vivre : je n'imaginais pas perdre une jambe dans un stupide conflit pour des terres et des richesses -Ok, c'était la guerre contre le terrorisme d'après le gouvernement américain mais j'ai des doutes sur leur sincérité- ; que James mourrait comme une partie de mes camarades de caserne ; que je sauverai un homme pour voir son nom dans la liste des morts à peine quelques semaines plus tard... L'armée m'avait retiré tellement. La seule bonne chose qu'elle m'avait donné était James. Là, je fus propulsé au fameux soir où j'avais appris que James était homo et qu'il m'aimait. Cette soirée avait quelques similitudes avec ma première nuit avec Cameron. Je revoyais James ivre mort m'entraînant dans une ruelle et m'embrassant sans crainte, comme si je n'allais pas le repousser. Il avait raison, je ne l'avais pas repoussé. Au contraire, mes yeux s'était ouvert sur ce que j'étais au niveau de mon orientation sexuelle. Je devais tant de chose à mon premier petit-ami. On en avait bavé mais j'avais tant appris à son contact.

Lorsqu'il me confirma que James était son cousin, je sentis mon cœur se déchirer. Mon regard devint subitement triste. Je suppose que ça ne pouvait pas passer inaperçu.
Le croupier me confirma ensuite qu'il était réserviste. Il me précisa même qu'il avait servi pendant huit ans. Parcours étrange que celui des types comme lui et moi, ces anciens militaires. Nous avions été façonnés pour tuer, pour se battre et quand nous n'étions plus bons à cela ou que nous étions obligés d'y renoncer pour une raison quelconque, quelque chose en nous mourrait et nous n'étions plus que l'ombre de nous-même... Enfin, ça avait longtemps été le cas pour moi. L'homme me demanda si j'en faisais partie. Il avait compris que j'avais rencontré James à l'armée.

-Oui... J'ai fait partie de l'armée pendant près de 10 ans... Jusqu'à ce qu'une mine m'arrache la jambe. C'était quelques temps avant la mort de James., lui expliquai-je. J'enchaînai ensuite : James était un gars génial... C'est fou ce qu'il me manque...

Je passai une main dans mes cheveux. J'avais peur de dévoiler des choses sur James que personne autre que moi ne savait. Avec James, nous parlions rarement de notre orientation sexuelle, je savais juste qu'il assumait ce qu'il était, qui il aimait mais il ne m'avait dit si sa famille était au courant de ses préférences sexuelles. Et si personne ne savait que James était homosexuel ? Et si je lâchai involontairement cette « bombe » ? Malheureusement, c'était souvent au moment de la mort de quelqu'un qu'on se rendait compte qu'on ne connaissait pas bien cette personne. Je me doutais que c'était la même chose pour James.
A cette pensée, je me murai dans mon mutisme et baissai les yeux. J'avais un peu honte d'être le gardien de ce secret. Je ne savais que dire... En réalité, je ne voulais pas parler plus. Penser à James me mettait dans un sale état. Plus je pensais à lui et plus il me manquait. Je voulais juste l'avoir avec moi, le serrer dans mes bras, l'embrasser... Je voulais que tout redevienne comme avant, comme avant cette foutue guerre.

-Vous savez, vous devriez quitter l'armée... Vous en sortirez forcément brisé..., murmurai-je, finalement, d'une voix presque inaudible.

Je fus quelque peu amusé de voir la tête incrédule de l'homme quand je lui expliquai comme j'avais perdu ma jambe. Je me décidai à lui montrer ma prothèse. Je fis pivoter mon siège et posai ma « jambe » sur le bureau avant de remonter la jambe de mon pantalon.

-Je ne souhaite une amputation à personne... Dire que j'ai perdu une jambe pour rien : elle a été arrachée pour sauver un type qui est mort quelques temps plus tard..., murmurai-je d'un ton acide.

Après quelques instants ainsi, je me rassis correctement et refis face au croupier. Bientôt je lui conseillai de quitter l'armée. J'avais mes griefs contre cette institution qui avait m'avait tant pris sur tous les plans. Je remarquai aussi qu'il ce demandait pourquoi je lui donnai ce conseil. Je devais choisir mes mots, ne pas être trop brutal. Je ne savais pas ce qu'il savait ou non sur son cousin. Comment aborder ma relation avec son cousin ? Avait-il idée que son cousin était homosexuel ? Je marchais sur des œufs et je détestais ça.

-L'armée vous prend le peu que vous avez. Elle a tout prix à James : sa vie et, pendant sa courte vie, la possibilité de la vivre comme il l'entendait, d'aimer ouvertement qui il voulait. Je ne parle pas de moi. Ce qu'elle m'a enlevé, outre ma jambe, c'était...lui... Il était le seul à ne pas être dégoûté de ma jambe manquante... Je... Je suis désolé d'aborder la question aussi brutalement mais que saviez-vous de la vie sentimentale de votre cousin ?, fis-je en baissant les yeux.

J'avais peur de lui apprendre des choses qui lui ferait perdre l'estime qu'il avait pour James. Comment pouvais-je savoir s'il était homophobe ? Même s'il n'était pas homophobe, ça faisait toujours un choc d'apprendre que l'un de ses proches était homo. L'homme que j'avais en face de moi semblait être assez perspicace pour comprendre où je voulais en venir et ce qu'impliquait mon « ce qu'elle m'a enlevé, c'est lui ». Qui n'aurait pas compris que j'étais amoureux de James ? J'avais honte de moi, je devais avoir l'air d'un adolescent de quinze ans qui n'osait pas dire à ses parents qu'il n'aimait pas les filles et leur préférait des garçons. C'était fou la facilité avec laquelle on retombait au stade d'adolescent nerveux et apeuré. J'étais vraiment mal-à-l'aise, tellement mal-à-l'aise que j'en oubliais que j'étais au travail et que, peut-être, des gens attendaient leur tour pour déposer plainte alors que je discutais tranquillement avec le cousin de mon ancien amant.